"T'en fais pas maman. Embrasse Raf pour moi." J'étais encore trop faible pour tenir un discours long alors je me contentais de ces quelques mots pour rassurer ma mère au téléphone. C'était le troisième jour où les visites étaient autorisées, mais une à la fois pour ne pas trop me fatiguer. Ça aurait dû être au tour de mon frère puisque mes parents étaient déjà passés. Sauf qu'il était coincé à Los Angeles à cause d'un soucis d'avion. Il me manquait terriblement, mais après avoir passé plus de trois années loin d'eux, je pouvais encore patienter un jour ou deux pour enfin le serrer dans mes bras. Et puis ce n'était pas comme si je n'avais pas encore un tas de gens que j'aimerais pouvoir serrer contre moi. A commencer par Kellen, sa femme et leur petite fille, qui, en trois ans, avait bien du grandir. Il y avait aussi mes collègues, mes voisins, ma belle famille. Mais celui que j'avais le plus envie de voir, c'était Dante. Le souvenir de son visage, de nos moments passés ensemble, de son amour, tout ça m'avait permis de tenir loin de mes proches. Je n'arrivais toujours pas à me souvenir de ce qu'il s'était passé, mais les sentiments ne trompaient pas. Il me manquait terriblement, j'avais l'impression qu'on m'avait arraché un bout de coeur et j'étais impatiente de le revoir pour enfin me dire que j'étais rentrée, en sécurité et prête à tourner la page. Sauf qu'il y avait aussi cette petite voix dans ma tête qui me faisait douter. Et s'il m'avait cru morte ? Qu'est-ce qui l'aurait empêché de m'oublier et de refaire sa vie ? Je ne supporterais de le savoir avec une autre alors que moi je ne pensais qu'à lui tout ce temps. Ce serait trop difficile à vivre et le stress m'était interdit par les médecins, car pouvant aggraver mon amnésie au lieu de la calmer. La matinée se déroula sans encombre. L'infirmière me refit mes pansements aux jambes et aux bras. Les brûlures commençaient doucement à guérir mais ma peau ne serait plus jamais la même. On m'avait fait des greffes de peau par endroit, là où les blessures étaient trop graves. Je l'observais faire, totalement détachée, comme si elle s'occupait de quelqu'un d'autre que moi. La douleur s'estompait de jour en jour, il fallait dire qu'ils me donnaient de quoi assommer un cheval en terme d'antalgiques. Mais sans cela, je serais incapable de bouger, utiliser mes bras ou même tout simplement dormir. Je ne m'étais pas encore levée de mon lit, j'avais perdue du muscle pendant ma captivité et ma convalescence au Mali. J'allais devoir reprendre doucement une activité avec un kiné pour réapprendre à me mouvoir. Je le sentais quand je me tourner dans le lit. J'avais l'impression que tous mes gestes étaient faits au ralenti, mes membres n'arrivant pas à suivre la cadence qui leur ordonnait mon cerveau. "Madame Johansson ? Monsieur Schiavone est arrivé. Vous vous sentez prête ?" l'aide soignante me sourit de façon compatissante. Tout le personnel était au petit soin pour moi. J'étais devenue une attraction touristique pour les médias mais grâce au ciel, j'avais la chance d'être plus ou moins en confinement ce qui empêchait les journalistes de venir m'interroger. Ce qui était un peu ironique au vu de mon métier. Je lui fis un faible sourire en retour, me demandant si on n'était jamais vraiment prête à affronter son passé. "Faites le entrer, merci." Je recoiffais mes cheveux avec mes mains, histoire d'être aussi présentable que possible. Je ne portais ni maquillage ni vêtement personnel, je ressemblais à une patiente comme une autre, avec les membres emballés telle une momie. Dans mon malheur j'arrivais tout de même à manger seule et surtout me laver seule. Ce n'était pas facile au lit et je rêvais d'une bonne douche mais ce n'était pas possible pour le moment, alors je prenais mon mal en patience et garder espoir. Je le vis alors entrer et mon coeur s'emballa. Il avait légèrement vieilli mais était toujours aussi beau, si ce n'était plus. Sa barbe naissante le rendait viril et ses yeux bleus m'avaient manqué, tellement manqué. "Bonjour Dante." ma voix était pleine d'émotion mais je ne voulais pas pleurer, pas encore. Je voulais à la place capturer cet instant pour me rappeler pourquoi j'avais survécu. C'était pour lui, pour son amour et pour notre avenir. Je levais les bras doucement, l'invitant à s'approcher et me prendre dans ses bras protecteurs.
L’air était encore suffisamment frais pour ne pas que je suffoque par ce tout début de Septembre. La sensation d’être en été était encore bien présente ce qui me poussait à me lever aux aurores pour courir un peu dans les alentours de Cassas. Changeant régulièrement mon chemin, j’optais pour la vallée avec ses forêts environnantes. Profitant de l’ombre des arbres ainsi que de l’odeur boisée qui s’en dégageait. Ecouteurs aux oreilles, j’écoutais Fake Empire, de The National, vidant mon esprit avant d’aller bosser. Je retournais après plusieurs kilomètres de courses à la maison pour me changer, adoptant une tenue décontractée et remarquais cette silhouette féminine, à moitié cachée par les draps en coton blanc écru. La lumière du soleil qui commençait à entrer par la fenêtre permettait de deviner plus aisément les courbes fines et gracieuses de la belle endormie. Je déposais un baiser sur sa tempe, laissais un mot sur mon oreiller et partais travailler.
Il était exactement 7h30 quand je me trouvais sur mon lieu de travail, le responsable qui me formait prenait le temps de faire les choses au mieux afin que d’ici la fin d’année, je devienne Chef. Après deux (presque trois) années de formation, il me sentait prêt et investi dans ce travail. Peu à peu, au fil des mois, je m’étais épanoui dans ce métier exigeant rigueur, créativité, passion, assiduité, sérieux. Cela me tempérait en raison de mon caractère qui souvent m’échappait. Je me montrais impulsif, nerveux, presque hyperactif. Ça avait été l’une de mes multiples phases, depuis le milieu de l’année 2014, j’avais changé, j’étais passé par presque tous les états et ça ne faisait que peu de temps que je commençais à aller mieux, je me permettais de m’ouvrir à une autre personne. Et vous ne sauriez pas à quel point cela m’avait aidé, quelque part. Je guéris progressivement après une dépression, des insomnies, un besoin irrépressible de me défouler (je remerciais la pratique de la boxe pour cet exutoire), le vin descendait un peu plus facilement comme le scotch. Puis je ne trouvais plus de sens à rien. Jusqu’à reprendre un peu mes esprits. Kellen avait été d’un grand soutien. J’avais été extrêmement peiné d’apprendre qu’il avait à son tour perdu l’être cher, un peu après moi. Et dans cette douleur, cet abandon soudain, nous nous étions soutenus. Puis il avait Moira. Cette petite perle âgée de 6 ans à l’époque. Elle approchait bientôt des 10 maintenant et ce rayon de soleil devait avoir un père lui montrant l’exemple. Celui de la bravoure, de l’homme capable de tout surmonter bien que ce n’était pas toujours facile. On s’était appuyé l’un sur l’autre, dans de bons comme des moments plus difficiles. Evidemment il me rappelait constamment Amara avec qui il avait travaillé depuis longtemps. Mais je me devais moi aussi, un jour, aller de l’avant même si je pensais constamment à elle. Ce regard tantôt noisette tantôt vert, ce sourire, ce rire. Ces cheveux bruns qui adoptaient des teintes dorées avec le soleil… elle était la femme idéale.
Aujourd’hui, j’allais donc mieux, ma vie avait pris depuis quelques mois un autre tournant, peut-être plus positif ou du moins je me permettais d’être heureux. Les clients déboulaient les uns après les autres tester les délicieuses pâtisseries et entremets issus de la création du chef actuel, et il y avait quelques semaines, j’étais à l’origine d’un nouveau gâteau individuel qui était cuisiné avec de l’huile d’olive, mais sa saveur prédominante était celle des agrumes. Du citron, plus précisément Tendre et croquant. ll se faisait son propre succès d’ailleurs, ce qui n’était pas pour me déplaire. La journée s’écoulait alors que j’interceptais une conversation qui ne m’était pas destinée. Je devinais quelques mots par-ci par là sans vraiment suivre ni comprendre le contenu même de la discussion entre deux jeunes femmes. Un retour miracle quelque chose comme ça. Je n’avais pas regardé les informations depuis près de 4 voire 5 jours et ignorais complètement le sujet numéro 1 des médias locaux depuis 2 jours. Kellen m’avait appelé sans que je ne donne de réponse; Non pas par manque de volonté ou de correction mais, j’étais occupé voilà tout. Il m’avait appelé la veille et j’avais l’intention de le re-contacter ce soir, une fois rentré chez moi.
Il était 15h37 précises, quand l’appel de l’hôpital de Cassas me parvint. Numéro que je ne connaissais pas jusqu’alors. Et j’écoutais l’interlocuteur déblatérer au téléphone, m’expliquant que Amara Johansson venait d’être rapatriée d’Afrique. Après plusieurs années là-bas. Qu’elle avait subi de nombreux soins dans le pays étranger et qu’ils se poursuivaient ici mais que la cicatrisation était bonne, que ça irait avec le temps mais qu’il fallait beaucoup de rééducation et de surveillance dans l’immédiat. « Wow wow attendez-là… ». Je stoppais la personne au bout du fil pour mieux saisir et encaisser les informations, en passant ma main sur mon front. J’étais en sueur, tremblant, ce que j’entendais était peine croyable. Est-ce que la personne qui m’appelait soupçonnait une seconde que la reporter était annoncée pour morte ? Ce corps qui n’avait jamais été retrouvé…. cette preuve qu’elle était peut-être encore vivante quelque part…. toutes ces pensées refirent surface et firent battre mon cœur, me donnèrent mal au ventre et à la tête à la fois car tout était extrêmement confus. C’était comme m’annoncer que quelqu’un ressuscitait. On me demandait de venir la voir à l’hôpital car j’étais sur la liste des personnes qu’elle souhaitait revoir, qu’une seule visite par jour était autorisée pour le moment. Ma voix restait muette pendant quelques secondes avant que j’annonce que j’arrivais immédiatement. Je ne comprenais pas ce qui se passait et j'avais du mal à réaliser. Je prenais donc congé pour le reste de la journée auprès de mon formateur afin de rentrer chez moi pour me re-changer. En raison d’étourdissements, je dus vider ce que mon estomac stockait dans le creux des WC. J’en étais presque malade, de cette nouvelle. Complètement perdu. Là je pris une douche, complètement froide et j’adoptais une tenue simple. En jetant un œil dans le miroir de la salle de bain, des larmes trahirent mon émotion. Je n’y croyais encore pas et encore moins maintenant. L’espoir m’avait quitté il y avait un moment mais la réalité me frappait en plein visage.
Sur la route, je m’arrêtais tout bonnement chez un fleuriste, pour composer un bouquet comportant des glaïeuls. Quelques unes de ses fleurs préférées. Je reprenais la route vers l’hôpital, inquiet, stressé, troublé, m’interrogeant sur la façon dont elle devait se sentir, l’état dans lequel elle était… puis toutes ces années … qu’est-ce qu’il s’était passé ? Est-ce que j’allais trouvé des réponses à ces questions ? Comment allais-je réagir en la voyant ?
Une fois à l’accueil, on m’indiqua son numéro de chambre et on m’expliqua rapidement son état sans que je sache ce qu’elle avait enduré. Après m’avoir expliqué qu’elle était arrivée il y avait environ 3 jours, on me parlait ensuite de brûlures qui avaient été soignées, d’une femme affaiblie mais dont le rétablissement progressif était sûr. Qu’il me fallait y aller doucement car elle ne devait pas affronter de stress excessif. Je soupirais après avoir repris mon souffle. Et j'entrais dans cette chambre 216. J’avançais dans ce petit couloir avant de l’apercevoir une fois arrivé dans l’espace chambre. Sa voix. Sa voix fut la première chose que j’entendis. Ma gorge se noua, ma bouche restait entre-ouverte quelques secondes, sous l’effet de surprise car j’avais toujours du mal à croire qu’elle soit là, vivante, devant moi. J’eus chaud, et froid en même temps. Puis je la contemplais tout en m’approchant doucement, presque timidement. La voir dans ce lit, vulnérable, dans cette blouse hideuse d’hôpital, la mine déconfite, les joues creusées. Physiquement elle avait changé. Elle était devenue presque frêle. Mais toujours si belle à mes yeux. Et surtout respirant à pleins poumons. Je n’osais presque pas l’approcher; comme si le moindre contact pouvait la briser, lui faire du mal.
Poser les fleurs sur une table à côté me permis de rendre mes mains libres, pour répondre à ses attentes. Incapable de prononcer le moindre mot, je me retenais encore une fois de céder à des larmes, mais l’humidité emplit mes yeux bleus malgré tout. Alors je passais mes bras autour d’elle, en l’enlaçant avec une grande délicatesse. Je la tenais malgré tout fermement contre moi. Sans qu’elle puisse le voir, les larmes commençaient à couler sur mes joues, contre mon gré. « Je n’arrive pas à croire que tu sois là, en vie ». Je restais dans cette position en glissant la main droite sur sa nuque. « Pardonne-moi, s’il te plait pardonne-moi ». Je me détachais d’elle pour m’asseoir sur le rebord du lit sans que ça ne la gêne. J’ajoutais pour préciser mes propos « J’ai espéré, si longtemps, puis je n’y ai plus cru… ». Je culpabilisais, de ne pas avoir gardé cette croyance comme quoi elle serait en vie. Mes recherches avaient été vaines, après tant de temps. Alors j’avais cédé en me rendant à l’évidence qu’elle n’était plus de ce monde. Ma main approchait son visage pour lui caresser la joue. Ne quittant pas son regard comme si, le fait de regarder ailleurs serait un risque qu’elle disparaisse de nouveau, je posais cette question qui faisait partie de celles évidentes. Avec une voix posée, calme je lui demandais « comment est-ce que tu te sens ? l’infirmière m’a dit que tu avais été rapatriée il y a 3 jours ». Je n’en revenais toujours pas, de lui reparler de nouveau. J’avais beaucoup de mal à la voir faible à ce point mais je me surpassais. J’espérais intérieurement qu’elle ne souffre pas. Pas trop
Le voir en face de moi, rempli d'émotions me fendit le coeur. Ses yeux bleus étaient humides et même si je ressentais la même joie, la même incroyable gratitude de pouvoir à nouveau lui parler, le voir et le toucher, je n'avais pas de larmes à verser. J'aurais voulu, j'aurais même dû mais rien ne venait perturber mon regard. Les médecins m'avaient expliqué que le traumatisme que j'avais vécu - et dont je ne me souvenais toujours pas, avait pu perturber mes émotions et ainsi je pouvais me mettre à pleurer alors que j'aurais dû rire et me mettre à rire alors que j'aurais dû être en colère. Bref j'étais déglinguée et c'était encore plus frustrant de ne pas comprendre pourquoi. Je reportais mon attention sur Dante qui m'avait apporté des fleurs, mes préférées et je souris à ce délicat clin d'oeil, heureuse et rassurée qu'il n'ait pas tout oublier me concerner après tout ce temps. Pour moi c'était comme si je lui avais parlé via Skype hier, alors que j'étais encore en mission au Mali. Mais pour lui trois années étaient passées sans la moindre trace de moi. Je soupirais de bien être en sentant ses bras contre moi. Il ne me serrait pas fort, comme si j'avais pu me casser si il forçait trop et sa sollicitude me toucha mais augmenta aussi mon état de frustration. Je fronçais les sourcils alors qu'il s'excusait, incapable de trouver une seule raison de lui en vouloir. Je pris la main qu'il avait posé sur ma nuque et l'embrassai tout en la gardant contre ma joue. "Arrête, tu n'as rien à te reprocher." Je lui fis le sourire le plus sincère dont j'étais capable, essayant de me mettre un instant à sa place. S'il avait dû m'être enlevée pendant si longtemps j'aurais certainement perdu espoir à un moment donné, surtout si personne ne m'aidait à garder la foi. "Tu m'as manqué." Je posais ma main sur sa joue et essuyai les quelques larmes qui avaient débordé de ses yeux. Il était si touchant et je ne l'en aimais que plus. "Tellement manqué." Je l'observais dans les moindres détails, essayant de le graver à jamais dans ma mémoire. Quelques rides d'expression avaient élu domicile sur son beau visage et je me demandais si l'inquiétude qu'il avait eu pour moi en était la cause. Je traçais les lignes de son front avec mon doigt puis caressais sa barbe avec un nouveau sourire. "Ce look te va bien." Je voulais qu'il pense à autre chose, qu'il apprécie le moment et qu'il arrête de culpabiliser ou réfléchir à quoi me dire pour ne pas me perturber. Alors je disais des futilités mais en voyant le sourire qu'il me renvoya, je savais que j'avais gagné. Trop vite cependant, il me demanda comment je me sentais et je savais qu'il attendait des explications. Je soupirais en sachant que je ne pourrais pas éluder la question plus longtemps. Je le lâchais pour pouvoir me redresser doucement dans mon lit. Je grimaçais dans la manœuvre, tous mes membres étaient engourdis et chaque mouvement était un effort surhumain. "Difficile à dire. On m'a enlevée plus de trois années de ma vie. Je ne me souviens de rien et ça me frustre tellement !" Je croisais à nouveau son regard, me demandant ce que les médecins ou même ma famille lui avait dit au sujet de mon état. "Est-ce que.. est-ce que les médecins t'ont dit ce qui m'était arrivé ?" D'un côté ça m'arrangerait qu'on lui ai dit la vérité, que j'avais subi divers sévices et que en plus de ma convalescence qui allait être longue, les diverses séquelles physiques et psychologiques que j'allais porter toute ma vie, j'allais aussi bientôt devoir faire des tests pour évaluer ma capacité à procréer. Ce n'était pas le problème le plus urgent certes, mais je me rappelais parfaitement l'enthousiasme de Dante à l'idée de devenir père et si je ne pouvais plus lui offrir ce cadeau ? Il méritait de connaître la vérité et j'étais prête à la lui révéler s'il ne savait encore rien. En attendant je levais mes bras et en regardais les bandages. "J'ai des brûlures aux pieds et aux mains. Ça guérit lentement mais tu sais comme la patience n'a jamais fait partie de mon vocabulaire." je ris nerveusement, à parement le traumatisme n'avait pas affecté ma capacité d'autodérision. Je redevins très vite sérieuse et fronçais les sourcils à mesure que je lui racontais ce qu'on m'avait appris sur le jour de ma libération. "J'étais captive par un groupe terroristes et alors qu'ils allaient tomber sous les assauts des militaires ils m'ont abandonné en plein incendie. C'est un médecin militaire qui m'a transféré à l'hôpital en voyant l'étendue de mes blessures. Tout ça n'est que supposition vu que je ne me rappelle de rien mais vu mes brûlures, j'ai eu beaucoup de chance. Si on peut dire." Je fis une pause, lui demandant de me passer un verre d'eau. Je n'arrivais toujours pas à parler longtemps sans être totalement desséchée et essoufflée. La faute à mon fort taux de dénutrition et de déshydratation. "J'étais deux mois dans le coma au Mali puis je me suis réveillée. Et me revoilà." Le résumé était bref mais comme je n'avais pas plus de détails à lui communiquer pour le moment il allait devoir se contenter de ça. Et j'imaginais que ça allait déjà être suffisamment dur à encaisser. Je repris sa main et la serrer comme je pus dans la mienne. "Les apparences sont contre moi mais je vais bien. Au final ce n'est peut-être pas plus mal que je ne me rappelle de rien..."
J’étais un homme de caractère, démontrant plus aisément celui fort et confiant que celui sensible. Cela ne m’empêchait pas de montrer avec plus ou moins d’habileté ce que je ressentais. Qu’il s’agisse d’actes ou de paroles. Quoi qu’il en soit, j’avais rarement les larmes aux yeux et pourtant c’était le cas en ce moment. Dû à une émotion presque incontrôlable. Et paradoxalement, la même cause pouvait me faire réagir de diverses manières. La disparition de Amara en avait été la parfaite illustration car de nombreuses phases s’étaient manifestées au fil des mois. Je canalisais à un moment donné une sorte de rage à travers la boxe. Frapper dans quelque chose et me dépenser était devenu indispensable. Pas que j’en voulais à la terre entière mais à moi même d’abord, pour ne pas l’avoir retenu avant son départ. Je me souvenais exactement de cette soirée, enfin d’une partie de cette soirée où nous nous disputions presque car je m’étais montré extrêmement compréhensif par rapport à son métier que je savais des plus risqués et à chaque fois j’avais été angoissé en sachant qu’elle partait dans ce type de pays en conflits sans avoir une certitude qu’elle n’en revienne. Je ne savais pas trop pourquoi, un feeling peut-être mais, la veille de son départ prévu le 15 mars 2014, il y avait eu des discussions tendues juste avant que nos invités Kellen, Janice et leur fille Moira se joignent à nous pour le diner.
flashback:
« J’ai été très compréhensif jusqu’à présent, pourquoi tu ne peux pas comprendre pour une fois, que je ne veuille pas que tu partes ? ». Elle me disait qu’on s’était pourtant mis d’accord, que il s’agirait là de sa dernière mission et que cela n’empêchait pas qu’on avance tous les deux, dans la même direction. « Je suis bien allée en Irak, en Turquie, en Afghanistan, au Sahel, au Soudan, en Egypte… j’en suis revenue et tu l’as accepté » la liste des pays n’était pas complète mais l’illustration était claire. « Il n’y a pas de raison que ça soit différent cette fois-ci ». Même si elle me rassurait sur le fait qu’elle était avec des équipes compétentes, habituées et des personnes sur place qui avaient connaissances de l’état actuel des choses, me calmer ne fonctionnait pas. « Pourquoi ça ne le serait pas ?! Tu sais ce qui se passe dans la tête de AQMI, Boko Haram ou Daesh peut-être ? Tu crois être invincible et pouvoir tout anticiper ?! Regarde-toi, tu es humaine. Tout ce que tu as c’est une caméra, un appareil photo …. ». Repartir sur le sujet m’avait énervé de plus en plus. Depuis un certain moment on voulait parler de notre futur, ensemble et ce voyage ne tombait pas bien. Qui plus est au Mali la situation était également très tendue. Je parlais avec les mains, tout en m’agitant dans cette cuisine et tapais du poing sur l’îlot central. « Per Carità, apri gli occhi ! ». L’italien ne me quittait jamais et encore moins pour exprimer un sentiment amoureux ou de colère. Je lui disais d’ouvrir les yeux, de se dire qu’elle n’était pas seule dans l’équation et lui donnait l’exemple de Kellen qui venait la même année d’arrêter. Encore, si Kellen partait avec elle… mais même pas. Il avait arrêté pour Janice, pour Moira. « Pourquoi les autres arrivent à faire des sacrifices et pas toi ?! ». Le four sonnait, le plat principal était donc chaud, il fallait que je l’éteigne et que je me calme surtout. Bouteille de vin posée sur le plan de travail, je la laissais me parler tout en me servant un verre que je bus presque d’une traite. Le gong me sauva ou plutôt nous sauva. Il empêcha la dispute d’éclater si ce n’était déjà le cas. Les invités venaient d’arriver, l’apaisement était le bienvenu. Mais la soirée n’était pas terminée. J’avais cette peur qu’elle ne comprenne pas à quel point elle comptait pour moi et jusqu’à présent j’avais su prendre sur moi. Pas cette fois-ci.
Plusieurs semaines après son départ, voir l’actualité sur le continent où elle était partie, les actes de AQMI m’angoissèrent. Les informations avaient montré cela sur de nombreuses chaines, il y a trois ans. Alors oui, au départ, j’avais des raisons de croire qu’elle était encore vivante mais je n’avais pas gardé espoir jusqu’au bout. La voir aujourd’hui dans cette chambre d’hôpital me fit réaliser une sorte de lâcheté de ma part. Comment avais-je pu ? Il me fallut énormément de temps, certes, mais je m’étais enfin autorisé à aller de l’avant, après penser que je ne pouvais plus rien y faire. Qu’elle était partie pour de bon. Le fait qu’elle me dise que je n’avais rien à me reprocher me fit culpabiliser car elle ne savait pas que j’avais rencontré quelqu’un. Et les propos qui suivirent me firent encore plus de mal car le sentiment était réciproque. Au fond de moi, je n’avais jamais cessé de penser à elle. Quand elle me disait ces paroles, je n’osais même pas la regarder dans les yeux.
Amara me fit décrocher un sourire en se référant à cette petite barbe que je n’avais pas à l’époque. Physiquement, le temps m’avait fait changer et ce n’était que le résultat d’années écoulées mais aussi l’inquiétude, la peine, les angoisses qui m’avaient accompagnées. Nous avions tous les deux changés finalement. Je posais une question presque inévitable tout en l’écoutant avec attention. Je me doutais qu’elle avait peu de souvenirs de ce qui s’était produit là-bas et l’infirmière qui m’avait accompagné jusqu’à la chambre 216 m’avait évoqué certaines choses. Comme l’amnésie dont la reporter était victime. Peut être que des souvenirs lui reviendraient au fil des mois, peut être pas. On restait encore dans l’incertitude sur certains points. « Je n’ai vu que l’infirmière pour l’instant et peu de temps, mais je vais aller voir le médecin qui s’occupe de toi, tout à l’heure ». La membre du personnel hospitalier m’avait communiqué le nom du docteur ce qui me permettait d’avoir un rapport plus détaillé sur l’état de santé d’Amara. Qui plus est, il était supposé rendre visite à sa patiente sous peu. « Elle m’a parlé de tes brûlures, de douleurs physiques et séquelles psychologiques …. ». Je n’entrais pas dans les détails parce que ma gorge se nouait rien qu’à dire chaque de ces mots. On ne m’en avait pas vraiment dit davantage non plus, pour l’instant. La brunette compléta donc ces informations et au fur et à mesure qu’elle parlait, je regardais tantôt ses mains, puis suivais lentement du regard le prolongement de son corps, jusqu’à ses pieds bien que la moitié de son corps était cachée sous le drap blanc. J’imaginais vaguement au fur et à mesure qu’elle me parlait, bien que je n’en n’avais pas envie. Je n’arrivais même pas à rire alors qu’elle avait le courage de le faire. Je n’en revenais pas de son courage de caractère et sa force physique, pour avoir tenu jusque là. Bien qu’elle riait de son défaut, je ne parvins qu’à esquisser un léger sourire en coin. Elle poursuivait alors sur l’incendie. Cela me pinça le cœur. Ce qu’elle avait enduré alors que nous étions de l’autre côté de l’océan, dans notre vie confortable. Je n’en revenais pas une fois de plus, de ce qu’elle m’annonçait. Elle avait donc été séquestrée pendant des années. Les médias avaient annoncé des bombes qui avaient explosé dans un village proche de celui où elle était présumée se trouver et visiblement elle avait été capturée avant ladite explosion. Mon visage s’éclaircit car je comprenais enfin ce silence total. Et c’était peut-être pire à vrai dire, car j’imaginais le pire, s’agissant de la captivité. La preuve étant qu’elle avait été laissée pour compte, en plein incendie. Je ne pus masquer une expression de surprise en écoutant ce récit. Interrompu par le besoin de boire.
Je lui remplissais rapidement un verre vide d’eau contenu dans une carafe et le lui tendait pour qu’elle s’hydrate tout en m’assurant qu’elle puisse le faire seule sans trop de difficulté. Elle revenait de loin. Je la comparais à cet instant au phoenix qui renait de ses cendres. Je fis une légère mimique à la fin de ses mots, ne sachant que lui dire sur cette amnésie. Bien que finalement je donnais mon avis. « Est-ce que ne pas savoir est quelque chose avec quoi tu pourrais vivre ? ». Elle était reporter après-tout. Creuser les informations, savoir, se renseigner et partager, c’était ce pour quoi elle vivait. Alors un terrain vierge s’agissant de sa propre histoire semblait d’ores et déjà un endroit qui, selon moi, elle finirait un jour par creuser. Elle n’allait pas bien. Amara était forte pour positiver même dans les pires moments. En l’occurrence c’était le cas. J’allais chercher dans la salle de bain un vase qui était posé sur le sol (ses parents lui avaient apporté des fleurs avec un vase supplémentaire). J’avais laissé mon portable posé sur la table de chevet à côté de Amara, incapable d’entendre au même moment la réception d’un message de la jeune femme qui se trouvait dans mon lit ce matin même. Je revenais avec les fleurs mises dans ce second vase « Tes parents savent aussi quelles sont tes fleurs préférées » dis-je en ayant arboré un léger sourire apparent ou ton un peu plus normal. Je posais les fleurs à proximité des autres. Puis je reprenais place sur le rebord du lit. « On t’a dit combien de temps tu devrais rester en convalescence ici ? ». Au moment où elle me répondit, une infirmière toqua à la porte informant qu’elle était là pour vérifier la bonne cicatrisation, et changer quelques pansements. Bien sûr elle me demanda si je souhaitais rester tout en regardant également la principale intéressée. Je ne savais pas si Amara préférais que je sois là ou ne la regarde pas, au contraire. Je ne pris pas le temps de connaitre son avis préférant la laisser seule l’infirmière. « Je vais faire un tour, je reviens dans quelques minutes ». Oubliant totalement mon portable je quittais donc la chambre 216 à la recherche du Docteur qui avait pris en charge la reporter. Me sentant incapable de rester là pour soulager sa douleur, je préférais aller me renseigner afin d’appréhender au mieux la situation.
Dans le couloir, les portes étaient toutes identiques ce qui me donnait presque le tournis. Je n’avais jamais été un grand adepte des hôpitaux ou centre médicaux. Tout établissement se rapportant la santé à vrai dire. La médecine n’était clairement pas un domaine fait pour moi. Je préférais le rouge du vin que celui du sang. De loin. Demandant à gauche et à droite à diverses infirmières et aide-soignantes où était le Dr. Wilson je mis enfin la main sur ce dernier qui venait tout juste de signer une décharge sur un papier et marchait en ma direction. « Dr. Wilson ? » « Oui, c’est moi » En tendant ma main je me présentais « Bonjour, je suis Dante Schiavone. Le… ». Ex compagnon ? Compagnon ? La question ne se posait pas la veille mais aujourd’hui en me présentant je ne sus pas vraiment que dire avec exactitude et j’optais pour la solution qui me permettrait d’obtenir les informations souhaitées, même si je ne l’étais plus vraiment. « … compagnon de Mme. Amara Johansson, la reporter qui vient d’être rapatriée du Mali … ». « Ah oui, bonjour M. Schiavone. Je suis content de vous croiser, j’allais d’ailleurs voir Mme. Johansson d’ici une vingtaine de minutes. Je peux vous dire qu’elle a eu énormément de chance de s'en sortir ». Je haussais les sourcils. De la chance, clairement. Elle passait de morte à vivante. J’en étais encore troublé d’ailleurs mais ce qui m’intéressait était ses chances de récupération, son état de santé précis. « Est-ce que je peux savoir un peu ce à quoi m’attendre, comment est son état de santé actuel ? Je sors de sa chambre et je suis au courant pour les brûlures qui ont été soignées, la rééducation qui sera nécessaire… ». « Nous avons effectué plusieurs examens mais tous ne sont pas encore faits ou nous n’avons pas tous les résultats. Le premier jour de son arrivée nous n’avons presque rien pu faire ; elle sortait d’un état comateux de deux mois. Le corps a besoin de se réveiller voyez-vous. Suite au prélèvement sanguin il y a de nombreuses carences qui nécessiteront pendant un moment des compléments alimentaires, elle doit renforcer son système immunitaire et reprendre des forces. L’électrocardiogramme, la radio pulmonaire et tests visuels et auditifs sont bons. Clairement le bilan biométrique démontre un IMC beaucoup trop faible mais ce n’est pas une surprise, elle souffre d’une amnésie dont on ignore l’état exacte pour le moment. Nous espérons qu’elle ne soit pas définitive mais il lui faudra un suivi psychologique…. ». Le professionnel de santé poursuivait et puis me demandait toutefois « Vous ne préférez pas attendre que je la vois et vous parle à tous les deux en même temps ? ». Nerveux, je regardais le sol puis le docteur « Je préférerais entendre les choses à part… si ça ne vous ennuie pas ». J’avais peur de ma propre réaction et entendre l’état réel de sa santé devant elle me faisait redouter ma propre réaction. Le médecin devint plus grave et savait que parmi les examens complémentaires, il en restait des avérés délicats. Il m’invita à m’asseoir sur une chaise dans un coin pause du couloir dans lequel nous nous trouvions. « M. Schiavone, vous savez que votre compagne a été séquestrée pendant de longues années, et que en dépit de séquelles physiques, le travail psychologique sera assez conséquent ? ». « oui je comprends tout à fait…. mais je présume que si elle a survécu après tout ce temps, elle sera suffisamment forte pour la phase de rétablissement, elle va s’accrocher ». Il hocha la tête prenant un air de compassion. « Et vous, est-ce que vous êtes prêt à tout ça également ? Je veux dire, tout ne se résout pas en quelques semaines, vous comprenez l’enjeu. Et parfois on ne trouve pas de réponse à toutes les questions ». « Où voulez-vous en venir ? ». « Je vous informe juste que il faudra être endurant, patient et présent…. » son regard se posa sur le dossier qu’il ré-ouvrit. « Nous avons donc des tests complémentaires à effectuer mais pour l’instant la sérologie VIH est négative, c’est une bonne chose ». Au moment où il parlait, j’étais assis, les coudes posés sur les genoux, mains sur les visage et le mot VIH me fit réagir. J’ôtais mes mains pour le regarder « Vous avez fait un test de dépistage du VIH ?! ». Cela m’intrigua évidemment. Le médecin fit une tête qui était facile à comprendre. « Vous voulez dire que….. ». J’avais chaud, très chaud et j’avais une sincère crainte d’entendre la suite. Il hocha alors la tête positivement, après une courte hésitation « Je suis désolé. Elle a subi de nombreux rapports non consentis et…. ». Je râlais à l’intérieur de moi, je me maudissais. « Ma non è vero… ciò non è possibile…. ». Je ne voulais pas y croire. « … nous devons entre autres faire des tests complémentaires afin de savoir quelles sont ses capacités…. ». Il voyait que je me décomposais, littéralement. Mes mains se joignirent devant mon visage, tourné vers le sol. Je devinais parfaitement la fin de la phrase du médecin, qui, pour ne pas en rajouter s’arrêta là en me disant qu’il passerait nous voir tout à l’heure. Il me suggéra d’aller me rafraichir le visage, de prendre un verre d’eau et même de m’aérer au besoin.
Quand ses pas s’éloignèrent, je ne savais pas encore ce que j’allais apprendre ou voir. Tout était tellement entremêlé dans ma tête car je prenais tout ça très au sérieux, quand bien même j’étais avec une autre femme. Amara était… elle aurait toujours sa place dans mon cœur, quoi qu’il arrive. Et encaisser tout ça aujourd’hui était difficile. Pourquoi avait-elle enduré tout ça ?! Seule…. au bout d’environ 5 minutes, je bougeais enfin de ce siège pour me rendre dans les WC, me passer de l’eau sur le visage. De l’eau froide bien évidemment et en tirant le papier pour m’essuyer le visage, le boitier en plastique faisait des siennes ne me permettant pas de tirer une feuille correcte. Je m’énervais en tirant brusquement une fois, deux fois. Insultait le simple objet avant de frapper du poing jusqu’à le casser. Ma main vint heurter, de sa paume, la mosaïque froide du mur alors que je grommelais, m’énervais et encore une fois, l’émotion était presque ingérable. Je préférais être seul à entendre tout ça que à côté de Amara. Est-ce que elle le savait ? Je supposais que oui sans savoir ce que les médecins lui avaient dit ou non. J’aurai la réponse plus tard. Je voulus envoyer un message à Kellen et je réalisais avoir oublié mon portable dans la chambre 216.
Me forçant à me ressaisir en le disant à voix haute afin de m’en convaincre, je remontais à l’étage pour retrouver Amara dans sa chambre. L’infirmière était partie et j’étais de nouveau calmé. « Hey… ça va tout s’est bien passé ? ». Je faisais bien sûr référence aux soins complémentaires et pansements changés. « … j’ai vu le docteur, il va passer…. et il m’a…. ». Ne pas bafouiller, réussir à sortir ces p*** de mots. « … il m’a renseigné davantage sur tes bilans, bien que d’autres examens soient encore à faire ». Je pris une chaise disponible de la chambre pour la poser à côté du lit et m’y asseoir en regardant Amara. Je contemplais la force tranquille. Elle avait été si brave. Puis en repensant à son comte, je lui disais avec sincérité « j’ai rarement vu quelqu’un d’aussi courageux que toi, Amara Johansson ». Puis histoire de savoir ce qui lui ferait plaisir lorsqu’elle pourrait sortir de ces quatre murs, naturellement je lui demandais « Est-ce que tu sais ce que tu aimerais faire ou qui tu aimerais voir, une fois que tu seras en mesure de quitter cet hôpital ? ». Mon portable vibra sur cette table de chevet et mon regard passa de la reporter à l’écran du cellulaire, que je prenais pour jeter un rapide œil avant de le ranger dans ma poche. « Je suppose que Kellen est prévenu » fis-je en pensant à ses appels manqués et au fait qu’ils étaient amis proches, elle et lui.
Emi Burton
Dernière édition par Dante Schiavone le Ven 1 Sep - 23:17, édité 1 fois
Je voyais que Dante menait une bataille intérieure sur comment il devait réagir face à tous mes aveux. Je ne voulais pas qu'il culpabilise car après tout il n'y était pour rien. Il avait même tout fait pour m'empêcher de partir au Mali, inquiet des dangers que mon métier pouvaient provoquer. Et il avait finalement eu raison, sauf que je savais pertinemment que ça ne servait à rien de penser ainsi. J'avais choisi de partir, têtue comme j'étais et même si ça m'avait embêté qu'on se dispute la veille de mon départ, je n'avais pas voulu raccrocher tout de suite. Je me souvenais qu'il m'avait reproché de ne pas faire de sacrifices pour nous, contrairement à Kellen qui lui avait arrêté son job pour sa famille. Cette soirée m'avait longtemps trotté dans la tête une fois en Afrique et même si nous nous étions réconciliés le jour de mon départ et qu'à chaque fois que nous nous parlions la discussion était joviale et agréable, je n'oubliais pas son ressenti, l'impression qu'il avait de passer après mon boulot. Flashback, mars 2014 « Pourquoi les autres arrivent à faire des sacrifices et pas toi ?! » m'avait-il sorti en pleine dispute. La sonnerie du four nous coupa dans notre discussion qui devenait clairement houleuse. Je serrais les mâchoires pour ne pas dire des mots que je regretterais et le laissais s'occuper du repas. Nos amis arrivèrent au même moment et avant d'aller ouvrir la porte, je passais devant lui et lui dis pour mettre fin à cette discussion le temps de notre dîner "Tu savais les enjeux de mon boulot quand on s'est mis ensemble, alors je t'interdis de me sortir une telle connerie. Je veux passer une agréable soirée Dante, pas me disputer alors que je pars loin de toi demain. Contrairement à ce que tu penses, c'est dur pour moi aussi." Je l'avais laissé en plan dans la cuisine tandis que j'allais accueillir Kellen et sa famille, un sourire à moitié sincère aux lèvres.
Trois heures plus tard... "Tu me fais un câlin ?" avais-je demandé alors que nous étions tous les deux au lit, silencieux chacun dans notre bulle. Je voyais qu'il s'était muré dans un silence qui ne présageait rien de bon. Je n'avais pas envie de recommencer une dispute, surtout pas alors que nous avions moins de vingt quatre heures pour nous. "Putain Dante, arrête de bouder et viens me faire un câlin !" Sauf que dire ça à un italien c'était comme lui demandait de faire l'inverse exprès. Je soupirais et lui grimper dessus, l'obligeant à me faire face et à m'écouter. "T'es chiant quand tu t'y mets t'en as conscience ? Je veux passer ces quelques heures avec toi dans le calme et l'amour, pas sur une mauvaise note. C'est trop demander ?" Il avait fini par céder et poser ses mains sur moi. Je l'avais embrassé et alors que je le regardais profondément dans les yeux, j'avais tenté de le rassurer. "Je t'aime plus que tout, rien n'y personne ne changera jamais ça. Tu vas énormément me manquer là-bas, à chaque instant. Mais laisse moi faire cette mission. Trois mois ce n'est pas la mer à boire. Après je raccroche, c'est promis. Tu m'auras tellement sur le dos que tu voudras me renvoyer loin pour avoir des vacances !" J'avais réussi à le faire rire et nous avions fini nos réconciliations sur l'oreiller comme à chaque fois. J'étais partie le lendemain en emportant un de ses t-shirt pour que son odeur m'accompagne partout où j'allais.
De nos jours... "Honnêtement, je n'en sais rien" répondis-je alors qu'il voulut savoir si j'étais réellement prête à accepter de rester amnésique toute ma vie. Le fait de ne pas savoir m'ennuyait mais avec ce que les médecins m'avaient dit sur les blessures internes et externes de mon corps, je n'étais pas certaine de vouloir connaître les détails. Je savais que j'avais été violée, plusieurs fois certainement, trois années c'était long, alors non je n'avais pas spécialement envie de me rappeler tout ça. "Ne pas me rappeler mais savoir tout de même ce qu'on m'avait fait me permet de résoudre une partie du mystère tout en pouvant m'en détacher. Comme si c'était arrivé à quelqu'un d'autre, tu comprends ?" Il s'éloigna de moi pour mettre ses fleurs dans un vase et les mis à côté de celles que ma mère avait amenée deux jours plus tôt. Je souris en voyant les couleurs qui mettaient un peu de gaité dans cette chambre d'hôpital aseptique et terne. A peine était-il à nouveau à mes côtés que je me sentais obligée de le toucher, comme si j'avais peur qu'il disparaisse à nouveau. Étrange comme idée puisque c'était moi qui était partie.. Je n'avais aucune idée du temps que je mettrais à guérir ni même si je guérirais un jour alors je ne voulais pas lui faire de fausse promesse ni être excessivement optimiste. "Étant donné que personne ne sait tout ce qui m'est arrivé, c'est compliqué de faire des pronostics. En tout cas je n'ai pas d'os de cassé, donc je devrais pouvoir commencer rapidement la rééducation quand mon corps aura repris des forces. Et tu me connais, je ne suis pas du genre à me laisser abattre ni à abandonner. Je ferais tout pour sortir rapidement d'ici et rentrer à la maison." Ceci était une certitude. Même si je ne me rappelais pas, je voulais rattraper ces trois années loin de lui. A l'heure actuelle, j'étais censée être mère de famille, ou au moins enceinte. Au lieu de ça je n'étais même pas certaine de pouvoir l'être un jour et cette réalité m'angoissait plus que je ne voulais le dire. Une infirmière arriva pour contrôler mes pansements. Dante en profita pour sortir parler au médecin. Je savais qu'il allait apprendre des choses qu'il n'imaginait pas et j'étais inquiète de sa réaction. Il semblait déjà tellement abattu de ma situation précaire, quand il saurait mes multiples sévices il allait perdre les pédales tel que je le connaissais. Mon visage montrait mon inquiétude car l'infirmière me sortit de mes pensées. "C'est votre compagnon c'est ça ?" Je hochais la tête, sentant mon coeur s'emballer par le stress. Je ne voulais pas qu'on m'interdise de le revoir parce que j'arrivais pas à gérer mes émotions mais je ne pouvais pas m'empêcher d'angoisser. Je lui expliquais la situation et la compassion se lisait dans ses yeux. "Vous savez votre situation est unique, il ne faut pas oublier que vous avez survécu malgré tout. Et ça doit être le plus important pour le moment." Je lui souris en retour, consciente qu'elle avait raison. Pour autant, il était difficile de se raisonner dans ce genre de cas. Je restais quelques minutes seule par la suite, regardant l'heure toutes les deux secondes, le stress reprenant de plus belle. Le téléphone de Dante se mit à vibrer sur ma table de chevet et même si je ne voulais pas fouiner, il vibrait pour la troisième fois depuis son départ et je me demandais qui pouvait bien le harceler à ce point. En voyant le prénom d'une femme je ne pus m'empêcher de ressentir de la jalousie. Il pouvait s'agir de n'importe qui, mais personne que je connaissais en tout cas. Les trois messages venaient d'elle et trop curieuse pour laisser couler, je pris le portable pour les lire via son écran de veille. "J'ai acheté un ensemble pour ce soir, je suis sûre que tu vas adorer.." le deuxième message comportait une photo qui ne s'était pas chargée à cause du manque de réseau dans l'hôpital mais j'imaginais sans peine de quel genre d'ensemble il s'agissait. Mon sang ne fit qu'un tour. J'ajoutais une dose de douleur en lisant le troisième message. "j'ai gardé ton odeur sur moi toute la journée, je peux plus m'en passer." S'en fut de trop. Je reposais le téléphone un peu trop violemment au moment même où Dante revint dans la chambre. Mon visage était impassible mais à l'intérieur je bouillonnais. Je restais muette à ses premières paroles, me rappelant qu'il avait appris des choses terribles sur mon compte et qu'il ne méritait pas mon agressivité. Pourtant à l'intérieur de moi, j'avais l'impression de me faire torturer tellement ma douleur était grande. Je ne pouvais pas le regarder dans les yeux et me contentais de les poser sur ses mains. En voyant qu'elles étaient écorchées je compris qu'il savait tout. Je déglutis avec peine et n'écoutais même plus ce qu'il disait. "Alors tu sais ?" dis-je un peu brutalement, voulant me débarrasser de cette interrogation au plus vite. Je n'arrivais pas à contenir les battements de mon coeur qui s'emballèrent, faisant teinter une machine à côté de mon lit. Je passais une main dans mes cheveux en regardant le plafond. "Sois juste honnête avec moi sur une chose Dante, s'il te plaît." demandais-je aussi calmement que mon état le permettait. "Pourquoi es-tu venu me voir ?" Je savais que j'étais ingrate de lui demander ça après ce qu'il venait d'apprendre mais c'était moi la victime dans l'histoire, même si ce n'était pas mon genre de me plaindre. "J'ai vu les messages de cette fille... difficile d'être plus explicite." Je lui en voulais tellement de m'infliger ça alors que je venais de le retrouver. Plus tard, au calme et avec le recul je me rendrais compte que c'était bas de ma part de lui en vouloir d'avoir essayé de tourner la page après trois ans mais là tout de suite je le prenais comme une trahison. Une trahison de la part de l'être que j'aimais le plus au monde. "Tu n'aurais pas du venir. Tu ferais même mieux de partir je pense." Je m’affaissais dans mon lit, réagissant à la douleur de mon corps par un râle. Mais c'était à l'intérieur que je souffrais le plus et ça n'avait rien à voir avec mes ravisseurs africains.
Discuter avec le Dr. Wilson s’était avéré nécessaire et même urgent pour prendre la température de la situation, avoir davantage connaissance et conscience de la gravité de cette dernière et avoir une évaluation même provisoire quant aux chances d’amélioration. Il me fit implicitement comprendre qu’il s’agissait d’un miracle, que Amara soit en vie après toutes ses années et suite à ce qu’elle avait pu endurer. Les informations qu’il me communiqua me perturbèrent au plus haut point. Elles raisonnaient en boucle et sanguin comme je l’étais, je m’étais réfugié dans les toilettes de l’hôpital dans le but de me calmer d’abord mais le résultat fut l’inverse. Je m’étais emporté au milieu de ce trop plein d’émotions et ce ce type de comportement ou de réaction de ma part n’était pas étonnant. Je ne dramatisais nullement la situation face à laquelle je me trouvais mais pour être honnête, je réagissais instinctivement et spontanément aux difficiles révélations, prises d’une traite en pleine gueule. Cela me prit un peu de temps, d’assimiler le tout avant de remonter la voir.
En déambulant dans les couloirs pour regagner la chambre 216, je repensais encore à cette soirée du 14 mars 2014. A cette dispute qui avait éclaté et au déroulement de cette veille de départ.
Flashback:
« Tu savais les enjeux de mon boulot quand on s'est mis ensemble, alors je t'interdis de me sortir une telle connerie. Je veux passer une agréable soirée Dante, pas me disputer alors que je pars loin de toi demain. Contrairement à ce que tu penses, c'est dur pour moi aussi ». Cet argument m’avait mis sur les nerfs car il était bien pratique. La brunette l’utilisait trop souvent à mon goût. C’était facile, de dire que j’étais celui qui avait accepté ça, que je savais ce à quoi je m’engageais en la laissant entrer dans ma vie. C’est vrai qu’elle ne m’avait jamais caché être prête à prendre des risques pour immortaliser des instants tragiques, transmettre des informations pour dénoncer les crimes contre l’humanité et capturer des images. Amara était une faiseuse de justice à sa façon. Quand bien même j’acceptais ses allers-retours depuis plusieurs années, je masquais bien cette boule au ventre qui prenait place dans mon estomacs dès que je la quittais à l’aéroport jusqu’à son retour. J’étais toujours là quand elle revenait, bouleversée par ce qu’elle avait vu ou vécu. Mes bras étaient toujours ouverts pour l’accueillir chaleureusement et lui donner l’affection qu’elle n’avait pas eu pendant ses déplacements, le réconfort et les encouragements car elle faisait un travail émérite. Elle passait devant mon nez pour quitter la cuisine ce qui me laissait à peine le temps de contester ses propos « A oui vraiment ? Alors pourquoi je n’ai pas l’impression que je parle dans le vide puisque tu partiras quand même demain ?! Ça te va bien de me dire que c’est difficile pour toi ». Nous avions tous les deux du répondant il arrivait que la moutarde nous monte au nez, rapidement. On se confrontait, on débattait et s’aboyait dessus. Aussi vite que la tension montait, on était également capables de l’inverse. Notre relation était électrique. Un amour électrique. Je faisais bonne figure quand les invités étaient présents, nos proches amis les McCoy avec leur délicieuse fillette de six ans. Nous gardions ce différend pour nous et nous comportions normalement auprès d’eux.
Une fois les invités partis, je rangeais la cuisine pour la laisser préparer ses affaires et prendre une douche. Je fis de même une fois à l’étage, sans un mot pour lui faire comprendre que je n’avais pas oublié la dispute. J’étais quelqu’un d’assez rancunier c’est vrai. Dans ce lit, je restais de marbre en regardant avec agacement cette valise posée au sol. Je n’avais qu’une envie c’était d’aller l’ouvrir et de vider le contenu mais je respectais malgré tout ce travail qu’elle faisait, et je la respectais tout simplement. "Tu me fais un câlin ? ». Je l’ignorais encore, tenant un bouquin merdique que j’avais pris par défaut. Puis quand elle m’adressa de nouveau la parole, insistante, je la regardais dans les yeux avant de poser le bouquin sur la table de nuit et d’éteindre la lumière de mon côté. « C’est trop facile ». J’agissais comme un con. "T'es chiant quand tu t'y mets t'en as conscience ? Je veux passer ces quelques heures avec toi dans le calme et l'amour, pas sur une mauvaise note. C'est trop demander ?" « Et te demander pour une fois, de m’écouter et de ne pas partir, c’est trop te demander aussi ? Merde Amara mais tu réalises que tu fonctionnes avec des œillères depuis quelques jours ? Il y a à peine un mois on parlait de projet, de nous et puis tu m’annonces ce départ. Qu’est-ce que ça change que t’y ailles ou pas ? Avec tous tes déplacements passés, tu n’as plus rien à prouver, contrairement à ce que tu penses. Tu ne sais pas mettre les priorités là où elles devraient être ». Je continuais à m’entêter et ne pas être des plus agréables. Et pourtant j’avais de la chance d’en connaitre une autre, aussi têtue que moi car en dépit de ma mauvaise humeur, elle su parvenir à ses fins à force de me travailler et je ne pus que la regarder, alors qu’elle s’était mise à califourchon sur moi. Amara savait aussi être très convaincante quand elle le voulait. Mes mains étaient posées sur ses cuisses et je l’écoutais avant de sourire à sa dernière affirmation. « T’es redoutable, tu le sais ça ? ». Amusé, je tirais doucement sur ses avant-bras pour la faire s’incliner juste devant moi, et capturer ses lèvres d’un baiser d’abord tendre, avec du mordant et plus passionné au fur et à mesure que son corps se glissait contre le mien. Je finis par la faire basculer pour me trouver au dessus et marquer cette peau douce en la parcourant de mes mains et de mes lèvres pour l’instant, en me délectant de cet instant. Chaque parcelle méritait son attention et rien n’était laissé au hasard. En cours de route je levais cette nuisette satinée pour descendre sur ce ventre plat qui un jour hébergerait un petit être à notre image. Un petit être que je comptais couvrir d’Amour du premier au dernier jour. Elle avait ce petit grain de beauté, a gauche du nombril, à quelques centimètres de ce dernier, qui me faisait craquer pour je ne sais quelle raison. Je prenais soin d’elle afin qu’elle éprouve du plaisir au point de regretter de partir. Ainsi elle n’oublierait certainement pas cette nuit et le temps défila sans que l’on se rende compte. Seule la sueur sur sa peau, les marques qu’elle laissait sur la mienne, le battement rapide de mon cœur et cette excitation encore fraiche me rappela que l’on venait de passer un très bon moment. Nous reprenions tous deux notre souffle avant de se lancer dans un second tour encore plus intense que le premier. Le lendemain, on profitait d’une dernière douche ensemble avant de l’emmener à l’aéroport. Où je la laissais savoir qu’il n’y aurait pas de retour. J’avais simplement en tête, à ce moment là, cette idée selon laquelle quand elle reviendrait, nous profiterions pour progresser dans notre vie de couple et fonder une famille car nous étions tous les deux prêts, ensemble.
En arrivant dans la chambre, je reprenais une discussion normale, sans avoir connaissance des appels manqués et messages. Je sentais toutefois que quelque chose n’allait pas, quand la jolie brunette ne répondit pas vraiment à mes interrogations mais en posa à son tour en commençant par me demander de faire preuve d’honnêteté. Je voyais son regard changé, tout comme le ton de sa voix par rapport à plusieurs minutes avant. J’inclinais la tête, interrogateur mais attendais qu’elle poursuive. « Je suis venu parce que l’on m’a prévenu que tu étais là, après toutes ces années, et que tu avais souhaité me voir. Et c’est ce que je souhaitais le plus….». Peu importe quelle était ma réponse, elle me coupa en évoquant des messages. Je compris qu’elle avait du saisir la situation délicate dans laquelle je me trouvais. Serrant la mâchoire, je la regardais droit dans les yeux, inerte, impassible. L’entendre me dire que j’aurais mieux fait de ne pas venir fut le même effet qu’un coup de poignard, non pas dans le dos mais en plein cœur. « T’es sérieuse ? ». Evidemment, le bon vieil italien que j’étais répondait spontanément, avec du répondant et sans penser à la suite. Aucune réponse de sa part hormis le fait qu’elle s’était affaissée dans le lit. « Je vois…. ». Je frottais mes mains l’une contre l’autre, hésitant quelques secondes à lui répondre, partir, rester. J’ignorais quelle était la bonne attitude à adopter mais finalement je rangeais la chaise à sa place en disant « Je reviendrai ». Puis une fois dans le couloir, arrivant presque à la poignée de la porte, mon instinct me fit faire demi-tour pour revenir au pied du lit et lui parler maintenant. Plus tard ça serait trop tard ou pas le bon moment. Elle venait de découvrir que j’étais avec une autre personne, peut-être que ça ne semblait pas sérieux je n’en savais rien mais en tout cas il fallait battre le fer tant qu’il était encore chaud. « Tu sais quoi, tu n’as pas le droit de virer comme ça. Pas après tout ce temps… tout ce temps où j’ai espéré te revoir, tout ce temps pendant lequel j’ai harcelé tes supérieurs lorsque les nouvelles sont tombées sur l’attaque de AQMI parce que oui, j’étais peut-être fou pour y croire mais tant qu’on n’avait pas retrouvé ton corps, j’étais persuadé que tu étais encore en vie… ». Le ton montait tout comme le rythme de mes paroles, lancé dans le moment je serrais de mes mains les barreaux au pied du lit. « … tu as une idée de ce que on a tous enduré ici ? Kellen qui lui aussi bouleversé en plus de perdre sa femme, ton frère qui était intenable et prêt à partir te chercher au Mali sans avoir la moindre information, on se retrouvait régulièrement à discuter pendant des heures lui et moi, à trouver les bons mots pour remonter le moral de tes parents mais seul, j’étais dévasté. Tu as une idée du nombre de fois où je me suis fait mettre dehors pour avoir poussé un peu trop les recherches et avoir tapé du poing sur les tables quand les choses n’avançaient pas ?! ». Elle ne devait pas avoir conscience, surtout pas maintenant, de toutes ces nuits blanches, ces moments d’espoirs et de désespoirs, cet état de tristesse permanente et de colère, d’abandon. Kellen et moi nous étions beaucoup rapproché tout ce temps, se soutenant dans ces épreuves mais je savais exactement ce que c’était que d’aimer quelqu’un, en chair et en os, de voir cette personne partir, et de se rendre compte à quel point cette personne crée littéralement un vide dans le cœur en plus d’accentuer dangereusement les souffles occasionnels existants. « Alors oui pardon, ô grand pardon … je n’ai pas eu la foi aussi longtemps que j’aurais du… » et avec un ton un peu désagréable je poursuivais sans la laisser en placer une, la colère parlait surtout « …excuse-moi de m’être autorisé à essayer de vivre de nouveau après avoir été au fond du trou pendant un peu plus de deux ans, excuse-moi de ne pas m’être laissé mourir, à l’intérieur ».
Après toute cette tirade, je me passais la main (égratignée) sur mon visage, histoire de reprendre mes esprits et me calmer. Littéralement en l’espace de quelques secondes, je parlais de nouveau posément et sincèrement. « Mi dispiace. Sono un vero idiota ». Je réalisais que maintenant que pour ne pas lui mettre de stress, j’avais été fort et que je m’étais un peu emporté. Beaucoup même. Ce n’était pas mon intention initiale et qu’elle l’apprenne comme ça ne me plaisait pas non plus car ce n’était simplement pas correct au regard de la valeur qu’elle avait à mes yeux, aujourd’hui encore. « …. je suis désolé que tu l’apprennes comme ça…. ». Faisant une mimique désolé, je finissais par respecter son choix « … si je suis venu aujourd’hui, c’est parce que j’étais tellement sous le choc et heureux en même temps, de savoir que tu étais en vie, que je n’aurais raté pour rien au monde le fait de te revoir et de te serrer dans mes bras, pour sentir ton cœur battre de nouveau. C’était mon vœux le plus cher depuis ton départ et il s’est réalisé…. ». Les miracles existent, j’en étais à présent persuadé. Ça aurait été trop difficile de dire que j’avais pensé à elle jour et nuit même jusqu’à aujourd’hui ? Que je serai toujours là pour elle quoi qu’il arrive ? Que je l’aimais encore ? Apparemment oui car ces mots ne vinrent pas et restèrent silencieux.
Je prenais alors la direction de la porte, croisant à ce moment là le Dr. Wilson qui entrait au moment où je tournais. Il avait du croire que je venais simplement lui ouvrir. « Ah vous êtes là, très bien je vais pouvoir vous parler à tous les deux ».
Rien ne se passait comme prévu. Je menais une guerre intérieure qui menaçait d'exploser, j'étais tiraillée entre ma peine d'apprendre qu'il avait tourné la page et la colère qu'il m'ait caché ce secret. J'avais conscience que j'avais disparu de longues années et que seul un fou aurait attendu tout ce temps sans faire son deuil et passer à autre chose. Mais je voulais que ce fou soit Dante, je ne voulais pas me dire que je l'avais perdu malgré moi, à cause de ma captivité et de l'absence de nouvelles. Si seulement je pouvais me rappeler ne serait-ce qu'un peu ce que j'avais vécu ! Au lieu de ça j'avais l'impression qu'on m'avait volé trois années de ma vie et que je me réveillais après un long sommeil. Je ne supportais pas d'être dans l'incertitude comme il l'avait bien compris et le fait qu'il s'énerve contre moi et qu'il me jette à la figure tout ce qu'il avait enduré pendant ce temps me faisait mal. Il ne le pensait certainement pas mais ses accusations me faisaient culpabiliser et me sentir encore plus impuissante que je ne l'étais déjà. Je me recroquevillais dans le lit, voulant m'enfuir de cette confrontation qui me broyait le coeur et les entrailles. Je me mis les mains de part et d'autre de ma tête pour l'empêcher d'exploser. Un mal de tête affreux s'était logé dans mon crâne et me torturait un peu plus à chaque seconde. "Arrête ! Je t'en prie arrête !" Je grimaçais sous la douleur et me mordais la lèvre pour m'empêcher de crier d'avantage. Je n'étais pas une chochotte, je supportais en général la douleur en silence et personne ne remarquait rien. Mais depuis ce foutu coma j'étais sous analgésiques puissants et le moindre petit pincement sur le corps me faisait souffrir le martyr. Des larmes de douleur glissèrent sur mes joues alors que je me tenais toujours fermement la tête. Mes oreilles bourdonnaient et j'entendais le battement de mon coeur dans mes tempes tellement il pulsait vite et fort. Je devrais appeler une infirmière appuyer sur ce fameux bouton d'appel qui leur signalerait que j'avais besoin d'eux mais j'étais incapable de réfléchir. Mon corps fragile pliait sous les informations données par Dante, par le surplus de stress accumulait ces dernières minutes et par mon incapacité à gérer la situation. J'avais soudain très froid, frissonnant dans mes couvertures. En même temps je sentais mon front qui lui était brûlant. Ce n'était certainement pas normal, mais j'avais mal, c'était tout ce que je retenais. Je voulais juste qu'on arrête cette foutue douleur qui me martyrisait. "J'en peux plus de cette douleur ! Je veux que ça s'arrête !" Je m'arrachais les cheveux tellement j'agrippais fermement ma tête. J'entendis des cris, des mouvements autour de moi, des voix mais qui semblaient lointaines. Mon corps bougeait, je tremblais sous les secousses et j'entendis vaguement quelqu'un dire que je convulsais. Je ne voyais plus rien, j'étais comme droguée et mise à l'écart de la situation. Jusqu'à ce que j'entende à nouveau une voix près de moi et que doucement la lumière se fit devant mes yeux. « Mademoiselle Johansson ? Amara ? Vous m'entendez ? » Je fronçais les sourcils, chaque mouvement de mon corps me semblait encore plus lent qu'avant, comme si je pesais soudain des tonnes. « Elle se réveille doucement, pouvez-vous m'expliquer ce qu'il s'est passé ? » Je reconnus la voix de Dante qui s'adressait au médecin. Je n'étais toujours pas capable de dire quoi que ce soit. Je me rendis alors compte que je ne ressentais plus aucune douleur, m'avait-on donné un calmant ? J'avais l'impression de planer, de ne plus pouvoir réfléchir ni penser sans que cela ne me demande un effort intense. "Quoi .. passé ?" deux mots réussirent à sortir de ma bouche mais ils étaient faibles et peu compréhensibles. Je sentis une main prendre la mienne. Puis le médecin ouvrit mes yeux pour y passer une lumière blanche et y constater ma réaction. "Aïe.. vois rien !" il m'avait ébloui avec sa lampe de poche et je dus cligner plusieurs fois des yeux pour distinguer enfin leurs silhouettes à tous les deux. « Vous avez fait une petite crise d'épilepsie, certainement causée par l'apparition d'un grand stress. Vous avez eu mal à la tête ? » Je hochais la tête pour acquiescer, reconnaissante que cette douleur soit passée. Je sentais la peau de mon crâne encore sensible suite aux cheveux que je m'étais tirée durant ma crise. « Bien, vous allez avoir besoin de repos. Beaucoup de repos, donc les visites vous sont interdites pour le reste de la semaine. » Que pouvais-je dire pour contester son avis ? Il avait sans doute raison, j'étais trop fragile et ça me rendait faible face à chaque nouvelle information. "Dante.. je veux qu'il reste avec moi." je déglutis en grimaçant, ma gorge était tellement sèche que j'avais du mal à y faire passer ma salive. « Je n'y vois pas d'inconvénient mais étant donné que vous avez fait une crise en sa présence, je ne pense pas que ce soit judicieux. » Je serrais la main de Dante, enfin capable de faire obéir mon corps à mes commandements. "Je ne veux pas rester seule." Je me tournais vers l'homme que j'aimais, consciente que j'allais lui en demander beaucoup, surtout maintenant que je savais qu'une autre l'attendait à la maison. Mais c'était plus fort que moi, j'avais besoin de le savoir près de moi, ne serait-ce que cette nuit pour éloigner toutes les angoisses qui menaçaient de me rendre visite une fois que je me retrouverais seule. "Reste avec moi je t'en prie. Au moins cette nuit." Je voulais le voir dormir à côté de moi, même si ça allait être sur un lit d'appoint. Je voulais profiter de ce spectacle une dernière fois vu que je n'allais plus y avoir droit ensuite. Il avait tourné la page, il avait comblé le vide dans son coeur avec une autre et ça me déchirait rien que d'y penser. Je me savais incapable de l'oublier, d'arrêter un instant de l'aimer mais j'allais bien devoir le laisser être heureux même si ce n'était pas avec moi. Je me souvins de la présence du médecin juste à temps avant de laisser aller une nouvelle vague de larmes. Je me ressaisis et m'adressai au médecin. "Vous vouliez nous parler ?" Ma voix ne cachait pas mon émotion mais je ne voulais pas qu'ils s'attardent trop dessus. J'étais encore émotionnellement fragile et il était hors de question qu'une nouvelle crise me prenne alors je préférais détourner l'attention tant que je le pouvais. « Effectivement, je voulais vous faire part des nouveautés, si vous êtes capables de les entendre ? » J’acquiesçais, s'il y avait bien une chose que je voulais plus que tout c'était quitter l'hôpital au plus vite alors autant être au clair sur ma situation pour me battre efficacement pour ma remise sur pieds. « Comme j'en ai informé monsieur, vos tests sérologiques sont revenus négatifs. Vous n'avez ni VIH, ni hépatite ni aucune maladie sexuellement transmissible. Par contre, nous ne savons toujours pas si vos capacités de procréer ont été affectées ou non. Pour cela il vous faudra faire un examen gynécologique une fois que votre état le permettra. » Ma gorge était serrée, mon estomac noué. J'étais certes soulagée de ne pas avoir attrapé de merdes au Mali mais en ce qui concernait ma possible stérilité j'étais partagée. J'avais promis un enfant à Dante à mon retour, sauf que beaucoup de choses avaient changé entre temps et je n'étais plus certaine de vouloir un enfant dans ces conditions. Pas sans Dante à mes côtés en tout cas. Le médecin nous regarda tour à tour puis regarda son dossier avant de poursuivre. « Le scanner que vous avez passé hier n'a rien révélé de problématique. Vous souffrez d'une forte dénutrition qui va nécessiter quelques mois de rééducation avant de retrouver un poids normal et surtout au niveau musculaire. Donc dès que vous vous en sentirez capable, vous aurez des séances de kinésithérapie passive pour commencer, c'est-à-dire des mouvements de gymnastiques au lit pour réveiller vos muscles. Puis progressivement on vous fera vous lever et marcher. » Pour ça j'étais prête à me démener pour progresser rapidement, j'en avais plus qu'assez d'être allongée alors j'allais me montrer la plus assidue des élèves. « Les antalgiques risquent d'être encore nécessaires quelques temps, surtout après les séances de kiné qui vont vous faire souffrir. Mais je ne suis pas inquiet, vous êtes jeunes et devriez relativement bien supporter le sevrage. Par contre.. » il s'arrêta un instant comme pour chercher ses mots. J'attendis sagement qu'il poursuive même si je me doutais déjà de ce qu'il allait dire. « concernant votre amnésie, je ne peux rien garantir. Vous pourrez avoir des flashs, des cauchemars ou tout revivre comme si vous regardiez un film, c'est assez aléatoire selon les patients. Dans tous les cas, vous allez devoir suivre une psychothérapie pour éviter que vous fassiez un syndrome post traumatique décalé. » Je hochais encore une fois la tête, digérant doucement toutes ces informations. « Je vous tiendrai au courant dès que j'ai de nouvelles données à vous communiquer. En attendant, reposez vous. Votre corps a subi de nombreux sévices, il a besoin de récupérer. » Sur ces paroles, il nous laissa seuls. Aucun de nous ne dit un mot avant quelques minutes. Je toussais pour enlever cette désagréable sensation dans ma gorge. "Alors.. Janice est décédée ?" je me souvenais qu'il avait dit cela lorsqu'il s'était énervé contre moi un peu plus tôt et je n'avais pas pu réagir de suite à cause de ma douleur à la tête. Janice était une amie proche avec laquelle je me sentais bien, qui me faisait rire et que j'admirais. Savoir qu'elle avait succombé à sa maladie me rendait triste, surtout que je n'avais pas été là pour lui dire au revoir ni pour soutenir Kellen qui s'était retrouvé veuf. Sans parler de ma petite Moira qui vivait sans maman depuis. J'avais envie de pleurer mon amie disparue et cette famille déchirée mais aucune larme ne venait. Je ne comprenais toujours pas comment fonctionnait mon système émotionnel mais il était clairement détraqué.
J’étais lancé dans ma tirade, celle incontrôlée et incontrôlable par laquelle je délivrais le ressenti des derniers mois, ce mal-être et ce, sans volonté délibérée de la blesser. Les mots sortaient seuls sans que je n’en analyse les conséquences. Je ne réalisais qu’après que je m’étais un peu emporté, trop peut-être car il fallait y aller modérément avec Amara. Elle ne devait connaitre aucun stress, et je ne m’étais pas aperçu immédiatement que mes propos engendreraient ce qu’il fallait à tout prix éviter. Ses supplices pour que je cesse de parler traduisaient cette douleur qui s’emparait d’elle, par ma faute et j’en étais désolé. Au moment de sortir, je croisais le docteur qui arrivait heureusement quand il le fallait. La reporter de guerre faisait une crise d’épilepsie. Le corps médical nécessaire se précipita dans la pièce ce qui pu rassurer la panique qui se lisait sur mon visage; J’étais un peu bousculé et tout allait ensuite très vite. Chacun était réactif et savait exactement ce qu’il ou elle avait à faire. Voir cette femme qui comptait tant pour moi dans cet état me bouleversa et me fit indirectement du mal. Sa souffrance était difficile à supporter et pourtant ce n’était pas le moment de fuir. Il fallait être là, auprès des êtres qui nous étaient chers et encore plus quand ça n’allait pas.
Je sortis un peu de la pièce avec une infirmière qui m’invita à le faire histoire de me rassurer à mon tour et me dire que tout était sous contrôle. Mademoiselle Johansson aurait besoin d’un électro-encéphalogramme comme examen supplémentaire (pour s’ajouter à la tonne de traitements et examens dont elle avait besoin) mais ça irait. J’étais adossé à ce mur, dans le couloir, juste à côté de la porte de la chambre et j’avais la gorge nouée. J’imaginais Amara il y a quelques années, quand tout allait bien. Jamais elle n’avait eu de souci de ce genre, c’était une femme rarement malade, rarement vulnérable. Les seuls maux qu’elle avait connus étaient ceux on ne peut plus communs que tout le monde attrape au fil des saisons. Après avoir repris une bouffée d’air, je retournais dans cette chambre alors que le docteur était en train de vérifier les réflexes pupillaires en orientant une lampe dans les yeux marrons-verts de la jeune femme. Je parlais doucement au médecin et me rendais rapidement compte que les paroles de la jeune femme étaient mal construites, le temps de récupération. J’avais cette crainte des personnes qui pouvaient tout à fait suite à une crise, souffrir d’une paralysie faciale par exemple. Mais heureusement son élocution repris le chemin de la normalité. Et je culpabilisais de nouveau au fur et à mesure que le médecin posait des questions car l’apparition de cette crise était en parfaite corrélation avec les propos que j’avais tenus.
Je comprenais aux mots du Dr. Wilson qu’il fallait éviter une présence d’autre personne pendant quelques temps et je m’inclus dedans jusqu’à ce que Amara demande à ce que je reste. A cet instant j’étais pris de remords et en même temps je bouillais contre le médecin qui contre-indiquait ma présence. Je ne voulais pas la laisser seule et visiblement elle pensa la même chose. La regardant dans les yeux une fois que je fus à côté de son lit, sa requête ne put trouver une réponse négative. Je savais que je devais retrouver une autre femme mais sur le coup, la question ne se posa pas vraiment. J’acquiesçais d’un hochement de tête pour laisser ensuite le Docteur reprendre la discussion. Alors qu’il parlait de tests VIH et d’examen gynécologique à venir afin de confirmer si elle pouvait ou non donner vie à un petit être, je repensais à ce point précis, qui était un des sujets primordiaux à nos yeux plusieurs mois avant son départ et encore plus les jours qui le précédait.
Flashback:
Nous avions passé une nuit agitée. Peu de sommeil. Beaucoup d’amour. Par Amour on entend bien évidemment sexe. Plusieurs fois nous étions parvenus à nos procurer ce plaisir charnel jusqu’au point d’être fatigués. Jusqu’à recommencer car le désir l’emportait. Peu importe, elle ne travaillait pas le lendemain matin et pour ma part, je ne devais pas aller rejoindre la famiglia avant le début d’après-midi. En caleçon dans la cuisine, je préparais un petit déjeuner pour deux, en commençant à disposer diverses choses sur un plateau mais elle me surprit en venant à pas de loup me rejoindre. Je sentais ses bras m’enlacer alors qu’elle arrivait derrière moi, discrètement. Alors évidemment je me retournais pour l’embrasser. « j’allais t’apporter le petit déjeuner au lit, mais visiblement soit j’ai trop tardé … soit tu es incontestablement impatiente…. ou alors tu avais très très faim ». Je ne la laissais pas me répondre à l’une des options proposées car mon cerveau me poussa d’emblée à dire « …. faudrait peut-être que je m’habitue, à ce que tu aies faim… pour deux ». Ce n’était pas lancé, pas encore mais ce projet était bien ancré dans nos têtes et nos cœurs. Nous étions installés, avions une vie stable et notre couple était prêt à franchir une nouvelle étape. Une nouvelle preuve d’amour. Elle me piquait une tartine de pain grillée alors que je venais tout juste de la beurrer et je m’asseyais sur un tabouret près du comptoir pour l’attraper par la taille afin de l’approcher de moi. Puis je regardais ce ventre plat, ce corps parfait à mes yeux avant de poser un baiser dans le cou avant d’en re-déposer un autre sur le haut de son buste mis en valeur par cette nuisette. « Tu sais, si on veut concevoir un petit être à notre image… on devrait se lancer maintenant, je veux dire, vraiment. Pourquoi attendre que tu partes en mission pour ensuite se lancer ? ». Elle préférait être dans de bonnes conditions, pas l’esprit accaparé à autre chose et être certaine que tout se passe au mieux, être reposée et dégagée de son travail. Quand bien même ça marchait et qu’elle serait enceinte que de quelques semaines en partant, elle ne le souhaitait pas et je respectais son choix en dépit de mes envies pressantes d’être père. D’être le père de l’enfant qu’elle porterait. « J’ai hâte. Que l’on puisse construire notre propre famille…. t’imagines un têtu impatient ce que ça donnerait ? ». Alors qu’elle prenait son mugg tout en poursuivant la discussion en me taquinant sur les défauts des italiens, je venais à mon tour derrière elle pour l’enlacer en passant mes mains sur son ventre « … tout de suite les grands mots… et s’il avait les qualités qu’ont les ritals hein ?! ». « Ah oui… ? Lesquelles ? ». « Hmmm je sais pas … confiant ? Intense …. déterminé…. ». Au fur et à mesure que je lui parlais, je glissais la bretelle fine de sa nuisette pour dégager complètement son épaule et d’une voix suave je continuais « … Passionné… têtu mais il faut bien, c’est une qualité… savoir ce qu’on veut ». J’embrassais cette épaule avant de venir lui chuchoter à l’oreille « … toi en l’occurrence …. maintenant… » afin de manifester ce que j’avais en tête afin de la ramener au plus vite à la chambre. Ce que je fis sans traîner en la portant avec peu d’hésitation. Elle riait et j’étais heureux tout simplement.
Je retournais à la réalité à l’instant T au moment où le médecin marqua une pause avant de rappeler qu’elle serait victime de flashs et de cauchemars. Par ailleurs, l’amnésie et le travail à faire pour regagner en mémoire serait peu prévisible et il faudrait voir au fur et à mesure la progression faite. « Merci Docteur » dis-je avant qu’il ne quitte la pièce pour nous laisser seuls, elle et moi. Là je me rendais compte qu’elle avait retenu certaines choses dans mes propos, qui n’auraient pas du être dites de la sorte. Silence. Je baissais les yeux au sol pour y répondre. « Je suis désolé. Le combat contre la leucémie s’est avéré plus difficile qu’on ne l’aurait pensé… elle a été forte jusqu’au bout … elle nous a quitté environ 2 mois après ton départ … ». Je parlais de son mental car au niveau physique évidemment que les symptômes s’étaient fait de plus en plus conséquents. Je n’étais pas à ses côtés bien sûr mais Kellen se confiait à moi et nous discutions, nous nous soutenions dans nos peines, nos douleurs en voyant l’être cher nous quitter. Comme après un court moment de recueil, je reprenais, pour partir sur une note plus positive « … Il serait content de te revoir … et Moira ». Je décidais d’en parler brièvement afin d’essayer de lui redonner un sourire car je savais combien elle aimait cette gamine. « Tu la verrais, c’est presque une grande maintenant, enfin elle le dit bien assez souvent. Elle est pétillante ». Je voyais le regard de Kellen sur sa précieuse fille, le bonheur qu’il ressentait de l’avoir à ses côtés.
Le soleil faisait briller l’acier de ma montre ce qui me poussa à regarder l’heure. Je voulus donc revenir sur des propos précédents afin de m’organiser. « C’est vrai ce que tu as dit tout à l’heure ? Tu veux que je reste ? ». Je savais qu’à cause de moi sa tension tout comme le stress était monté et encore maintenant je m’en voulais d’être responsable de son mal-être; Je savais également qu’avoir une nouvelle relation n’arrangeait pas les choses, que ça soit pour Amara comme cette nouvelle femme qui était à mes côtés. Et intérieurement je ressentais quelque chose de compliqué, d’inexplicable. Quand bien même les choses avaient changé, je trouvais cela normal d’être un peu auprès de Amara. Après tout ce temps, tout ce qu’elle avait traversé. J’en ressentais aussi une envie, au fond de moi. « Ecoute hum… je crois que je vais repasser chez moi, préparer quelques affaires, et je reviens tout à l’heure pour te tenir compagnie en soirée … et je passe la nuit ici aussi, ça te convient ? ». Elle aurait le temps de se reposer un peu afin de gagner quelques heures de sommeil et je comptais bien revenir peu avant le repas car je me doutais combien les plateaux repas dans les hôpitaux étaient tout sauf goûteux. « Qu’est-ce que tu aimerais manger, en dessert ? Je vais essayer de faire passer illicitement quelque chose qui aura sûrement plus de saveur que ce qui te sera proposé en dessert… ». La prochaine fois, j’avais bien l’intention de lui permettre de manger autre chose de plus consistant. Comme l’avait si bien dit le médecin, elle faisait face à une forte dénutrition et il fallait qu’elle reprenne des forces. « … tu ne le sais probablement pas mais je suis en passe de devenir Chef pâtissier ». C’est vrai que je m’étais reconverti et ça faisait maintenant deux ans; Actuellement sous-chef, j’allais passer Chef d’ici la fin de l’année. Bien sûr avec le peu de temps dont je disposais (quelques heures) je ne pourrais lui préparer quelque chose qui nécessite une bonne demi-journée de repos au minimum mais je comptais bien lui apporter quelque chose qui lui fasse plaisir.
C’est ainsi que je m’absentais donc, pour retourner chez moi, appeler une certaine personne pour expliquer que les plans de ce soir tombaient à l’eau, la belle fut compréhensive fort heureusement et j’avais su me montrer convaincant. Après avoir préparé ce qu’il fallait qu’il s’agisse de nourriture comme du sac avec des vêtements, je chopais une grande couverture polaire et j’étais de nouveau parti pour l’hôpital. Une infirmière sortait tout juste de la chambre 216 quand j’y entrais. Elle m’informait qu’un lit d’appoint venait d’être installé dans la pièce. Une fois entré, je fus surpris qu’à 18h45 les repas soient déjà servis. « Ça m’a l’air appétissant tout ça » remarquais-je avec une pointe d’ironie tout en posant les affaires sur le lit une place. Je pris ensuite une chaise pour m’installer près du lit de la brunette. « Qu’est-ce qu’on mange ? ». Autant repartir sur une conversation un peu plus légère que plus tôt, bien que ça ne durerait peut-être pas.