no, i don't have a gun / feliks

feliks / noel

j’pouvais y réfléchir à deux ou dix fois; on en revenait toujours à là. à ce diable de cabinet médical, et ses fantômes qui, de temps à autre, fanfaronnent jusqu’au parking. peut-être que feliks est l’un des leurs, à moins que je sois moi-même son fantôme. sûrement qu’il pense m’avoir rayé de sa vie pour de bon. simplement parce que j’ai cessé mon harcèlement téléphonique depuis belle lurette. faut dire que ça remonte, feliks. qu’il est en couple maintenant, qu’il est heureux maintenant. monsieur a refait sa vie, et moi je m’y ennuie. ça m’a pris en voyant l’heure sur le cadrant, de m’arrêter face à cet endroit qui m’attire comme un poison. est-ce que j’pourrais si j’voulais? le récupérer simplement, balayer le passé pour conjurer le présent. est-ce qu’il se laisserait faire, feliks? est-ce qu’il m’affronterait droit dans les yeux ou est-ce qu’il prendrait la fuite? est-ce qu’il appellerait son nouveau mec pour m'impressionner? c’est pas facile de prévoir ses réactions, et c’est justement pour ça que j’ai pas vu la fin arriver. le ‘dégage’ libérateur. comme si j’étais quoi? un putain de cancer? c’est lui qui me rendait comme ça, violent. à s’tirer avec ses potes sans prévenir. et à revenir, l’air de rien, tout sourire. c’est lui.
j’me suis garé et j’suis resté en planque dans ma voiture de nouveau riche. je connaissais bien, le cabinet de Cassas. pour y avoir été moi-même patient, longtemps, jusqu’à ce qu’on diagnostique un Münchhausen à maman. par procuration. la procuration étant ici ma propre personne. mon dossier médical doit plus ou moins ressembler à Bagdad maintenant. mais si je connaissais aussi bien le cabinet c’est surtout parce que j’y interviens, quand l’urgence me le suggère. mais feliks, il est toujours absent quand je me décide à franchir ces portes.
cette fois il est là, il se doute encore de rien feliks. mais il va plus rire très longtemps.
parce que je descends très rapidement de la voiture, j’en oublie même de fermer à clé derrière moi. parce que faut l’dire, j’veux pas le louper cette fois. j’veux lui dire ce qui me pèse. qu’il revienne. qu’il remplace le vide et la rancoeur qui rongent nos vieux os par quelque chose de mieux. j’le suis dans le bleu nuit, la lune est ronde, la lune est blonde. il fait comme d’habitude feliks, sans me voir, il continue. je pose une main sur sa portière. naturellement.
surprise.