(trash room 2)

(un) Mason est loin d'être dupe, il sait parfaitement que ses deux frères et lui représentent le fruit d'un mariage blanc ayant permis à leur russe de mère de rester sur le sol américain. Sa mère ne l'a , d'ailleurs, jamais vraiment caché. Si le tableau ne recèle pas énormément de rêve, au fil du temps, l'entente et l'affection ont su prendre leurs quartiers. Leur famille , bien que loin d'être dysfonctionnelle, n'est pas pour autant sans plis. Les bordures voient leur peinture se craqueler, les failles sont là. Les profanes les remarquent en y prêtant un tant soit peu d'attention : le cadet qui ne paye jamais une visite à ses parents (et qui s'est arrangé de mettre un océan entre eux), le benjamin qui ne quitte pas les jupons de sa mère et l'aîné qui filtre les appels mais qui répond toujours présent quand le père s'endette (parce qu'il est le plus solvable de tous). Personne n'a donc besoin d'expliquer à Mason qu'une famille tient tout d'un fardeau (deux) Star locale de l'équipe de lutte, là où il a grandi, beaucoup pensaient qu'il finirait par représenter un jour le pays aux jeux olympiques. Les banderoles à son nom étaient accrochées à l'entrée de la ville, dans certaines échoppes, partout où il mettait les pieds, on savait qui il était.Mais, il a refusé l'offre des recruteurs. Il aspirait à une vie de quiétude, une vie faite de simplicité et de normalité. Une vie loin des vices qui pullulaient dans le milieu. Affranchie de l'énorme pression sous laquelle il ployait constamment. Son père lui en veut beaucoup depuis. Même si plusieurs années se sont écoulées, autant d'eau sous les ponts, pas assez pour que l'avidité d'un père pardonne au fils. (trois) Après avoir obtenu son diplôme de secondaire, il n'a pas tout de suite rejoint les bancs d'université. Mason s'est enrôlé, a subi un entrainement intensif de six mois et s'est retrouvé projeté nulle part d'autre qu'en Afghanistan. On peut dire qu'il y a connu son lot de traumatismes (et cela tient plutôt de l'euphémisme). C'est bien pour cette raison qu'il n'a pas rempilé à la fin de son contrat. Il devait déjà s'estimer heureux d'avoir survécu. Il s'est inscrit à des cours du soir et, après deux années à bucher, il a obtenu ses qualifications. A l'évidence, son expérience au sein de l'armée de terre restera un chapitre qu'il présentera toujours des réticences à aborder. Certains aiment bien se vanter de savoir nettoyer et préserver un flingue, l'utiliser en cas de nécessité, ramper de manière furtive mais pour lui, tous ceux qui y sont restés n'ont servi que de chair à canons. Pas de quoi être fier. (quatre) Adepte des sports extrêmes, avec sa bande de potes, il ne rate jamais une occasion de tester une nouvelle pratique, tout y est passé : barefoot,saut à l'élastique, skysurf, street luge, bodyboard, kayak en cascade, vol en wingsuit, base jumping, delta plane - et la liste est longue.(cinq) S'il aime le contrôle, certains domaines de sa vie lui échappent totalement : le côté sentimental que peuvent prendre les choses. Il n'y accorde généralement pas plus de deux pensées et arrive toujours à la conclusion qu'il s'y prend comme un pied - avant, bien sûr, de passer à autre chose. Pourtant, il est celui qui sait trouver les mots justes, ceux qui prennent aux tripes, quand il le faut. (six) Insomniaque, il ne trouve le sommeil qu'à l'aide de petites pilules. Et, peut-être qu'il y est accro.(sept) Mason présente plutôt bien, on serait prêt à le considérer comme un genre de gendre idéal. Il a un travail bien rémunéré, stable. Cela s'arrête là. Depuis quatre ans, dégoûté par le système, Mason cultive de la marijuana, organise des voyages en bus de l'autre côté de la frontière pour récupérer des traitements interdits sur le sol américain et fricote avec des malfrats de seconde zone pour fournir quelques assurés floués par les grandes institutions. Il le fait sans cape et sans collants, et de manière complètement désintéressée. Du moins c'est ce qu'il tend à croire mais rien en ce monde ne semble vraiment dépourvu de motivation.

« Et au nom de quoi j’devrais me soumettre à ce genre de torture? » demande-t-il, les sourcils froncés, l’air d’hésiter entre rester sagement assis à cette table et quitter ce foutu restaurant dans les plus brefs délais, la porte lui paraît séduisante, il se verrait bien en passer le seuil. « Au nom de quoi ? Sérieusement, Hobbs ? Au nom de notre amitié, déjà » - Peale affiche une mine offusquée – du moins, ce à quoi devrait ressembler une mine offusquée, l’acteur de soap opera qu’il est ne semble pas maîtriser tous les registres. « Et au nom d’un tas d’autres choses que je ne prendrais même pas la peine de citer puisque, apparemment, ce soir, t’as décidé de te comporter comme un sale con ingrat » - l’amitié, c’est exactement ce qui octroie le droit à ce fumier de lui parler de cette manière sans s’attendre à ce qu’une torgnole ne s’abatte sur lui. Halluciné, Mason lève les yeux au ciel et les reporte à nouveau sur son vieux camarade qui confond loyauté avec servitude et qui préfère lui faire bouffer sa psychologie inversée plutôt que de reconnaître ses torts. Après tout, lui arranger un coup, avec une cinglée – toutes les amies de Candace le sont (Candace étant la petite copine de Peale) - , alors qu’il n’a rien demandé, qu’il se complait parfaitement dans son célibat, qu’il est venu – innocemment- fringué comme un coach de sport – survêtements et tennis de mise : c’est tout bonnement dégueulasse et motif à mettre fin à une amitié de longue date ( de celles ayant connu des hauts et des bas). Heureusement qu’il ne partage pas la dernière tendance et ne compte pas se comporter en reine de l’élan dramatique. Une grande blonde s’avance vers eux et s’installe, en réajustant son décolleté. « Tu lui as dit ? » - sa voix est à elle seule un problème national, Peale hoche la tête, énamouré : depuis que son pote est tombé sur le succube ( c’est comme ça que tous les gars appellent Candace, avec un « a », comme elle aime à le rappeler), il semble n’avoir plus aucune personnalité propre. Ses actions sont aux dires et aux faits de la poupée Barbie. « Et ? » lance-t-elle, l’espoir brillant dans ses énormes yeux bleus, elle avise la réaction de Mason, tendu, affichant une mine renfrognée ( qu’aurait-on pu attendre d’autre venant de lui, franchement?) « Et... Mason est en rogne mais il va se comporter sagement et essayer de préserver le peu de dignité qui lui reste » - se faire vendre par son pote ? Haute trahison. « Tu exagères, Mase » - il grogne, il n’y a que sa mère qui l’appelle Mase et ses amis – aux dernières nouvelles, Candace avec un « a » , n’est ni l’une, ni l’autre. « C’est Mason » précise-t-il, lançant un regard circulaire autour de lui. « Et, elle est où la fille ? Est-ce qu’elle est comme toi, Candace ? Elle met trois plombes à s’habiller et encore plus de temps à cacher sa ressemblance avec Nicolas Cage ? » - à son sourire carnassier se joint celui de la blonde qui n’a pas besoin de prononcer un seul mot pour le menacer en bonne et due forme. « Est-ce que vous pourriez , pour une fois, agiter les drapeaux blancs ? Chérie » commence Peale, en se tournant – mielleux – vers sa dulcinée « ne l’écoute pas, il est jaloux » - splendide, l’argument – songe Hobbs, en s’emparant de la bouteille de bière qu’il a commandé. « Elle arrive, elle a rencontré des problèmes de transport » - bien sûr, elle s’est cassée quoi ? Un talon ? Un ongle ? Quelqu’un a foncé sur son chihuahua ? « Ne la juge pas trop vite »  chuchote Peale – bien, bien. « Rassure-moi, tu vas te comporter comme un gentleman ? Parce que la nana c’est un avion de chasse et, j’ai du supplier Candace pour qu’elle veuille bien te la présenter. Je me suis prostitué pour toi, frérot, ne fais pas tout capoter ». N’importe quoi, ce n’est pas son genre. Pff. (…)« Désolée du retard » - souffle-t-elle, à moitié morte, sur le point de cracher ses poumons sur la nappe à carreaux du restaurant italien. « Ce n’est plus un retard à ce train, c’est un ajournement » - Charlotte – c’est ainsi qu’elle se prénomme, monsieur l’apprendra plus tard – se tourne vers lui, l’avise d’un regard dédaigneux avant de répliquer, cinglante : « Dis donc Candace, c’est ça ton deal ? T’es allée le chercher où ? Au fin fond d’un bar à Stand Up kentuckien complètement moisi ? » - les paupières se plissent, les bêtes se jaugent, elles étudient leur chance respective de réussir à attaquer la jugulaire sans récolter la moindre égratignure de la part de l’autre – la tension que le succube et le traitre ressentent, elle, n’a rien de très alarmant. Les principaux intéressés sont loin de s’en rendre compte. « Tu as peut-être un problème avec les kentuckiens ? » - aboie Mason, qui pourtant est d’un calme olympien en toute circonstance, il ne se reconnaît presque plus - « Non, sauf si en plus de ça, t’es républicain » - Non sauf si en plus de ça ? Tss. Elle s’installe, faisant en sorte d’être la plus éloignée possible. « On ne parle pas politique à table » - c’est Peale qui décide d’intervenir, «Charlotte - Mason, Mason-Charlotte » - mal aise. « On devrait peut-être commander, hein ? » - c’est Candace qui décide d’apporter son soutien à Peale. « On devrait peut-être demander à la bimbo démocrate de choisir en premier ? » - c’est Mason qui décide apparemment de renier sa promesse de se  comporter sagement.« On devrait peut-être lui injecter du pentobarbital ?» ça, c'est Charlotte qui décide de déclarer officiellement la guerre. (...)Mais contre toute attente lorsque les vapeurs de l’alcool s’évaporent et laissent place à la lucidité – et l’impitoyable gueule de bois, c’est pour que les deux ennemis jurés se réveillent d’un interlude et se rendent compte – ohputainohputain – qu’ils se sont envoyés en l’air, la veille.« Considère ça comme une fleur que je t’ai fait » - siffle Mason, désorienté, à la recherche de ses vêtements – bon, au moins,  c’est sa baraque. « Oh crois-moi, cinq centimètres, c’est pas ce que j’appelle une fleur mais une mauvaise herbe » - est-ce qu’elle parle de sa queue ? L’œillade qu’il darde sur elle n’est pas très amène, pourtant, c’est un sourire qui ourle ses lèvres. « T'es plutôt café ou jus ? » - et c'est peut-être un début.